Quebec Child Abduction Case

Droit de la famille — 1222 .                  2012QCCA21

COUR D'APPEL

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

N° : 200-09-007441-113

(235-04-000019-111)

DATE : 12 janvier 2012

CORAM : LES HONORABLES

      • MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.
      • JEAN BOUCHARD, J.C.A.
      • RICHARD WAGNER, J.C.A.

T... V...

APPELANT – demandeur

c.

M... B...

INTIMÉE – défenderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

MIS EN CAUSE – mis en cause

ARRÊT

[1] LA COUR; Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 19 mai 2011 par la Cour supérieure du district de Frontenac (l'honorable Johanne April), qui a rejeté le recours de l'appelant visant le retour en Californie des deux enfants des parties en vertu de la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial des enfants[1]

[2] Pour les motifs du juge Bouchard, auxquels souscrivent les juges Bich et Wagner;

[3] ACCUEILLE l'appel;

[4] INFIRME le jugement de première instance;

[5] ORDONNE le retour des enfants des parties, soit X et Y aux États-Unis, en Californie, au plus tard le 30 janvier 2012 ou à toute autre date convenue entre les parties;

[6] ORDONNE que les dépenses de voyage des enfants et celles de l'appelant, le cas échéant, soient à la charge de ce dernier;

[7] ORDONNE à l'intimée de remettre sans délai à l'avocate de l'appelant les passeports des enfants;

[8] ORDONNE à l'intimée de ne pas s'interposer ou autrement interférer dans le processus de retour des enfants vers leur lieu de résidence en Californie;

[9] ORDONNE que les enfants demeurent avec l'intimée d'ici à ce que les arrangements relatifs à leur retour soient finalisés avec les autorités gouvernementales compétentes;

[10] ORDONNE à l'intimée de ne pas quitter la région de ville A en compagnie des enfants d'ici leur départ en Californie;

[11] AUTORISE l'appelant à obtenir des autorités gouvernementales compétentes les autorisations nécessaires pour le retour des enfants en Californie, et ce, sans le concours de l'intimée;

[12] ORDONNE à toutes les autorités policières ayant juridiction au Canada de prendre tous les moyens disponibles pour permettre l'exécution du présent arrêt;

[13] ORDONNE l'exécution provisoire du présent arrêt nonobstant appel;

[14] Le tout sans frais.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

RICHARD WAGNER, J.C.A.

MOTIFS DU JUGE BOUCHARD

[15] Le présent pourvoi porte sur l'application de la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants. L'appelant, un citoyen américain, père de deux enfants, demande le retour aux États-Unis de celles-ci après que leur mère, l'intimée, les eut amenées au Québec pour y vivre de manière permanente.

Les faits

[16] Les parties ont fait vie commune pendant dix ans. Deux enfants sont nées de leur union : X, née le [...] 2001, et Y, née le [...] 2005. Ces dernières sont atteintes d'une maladie rare, la phénylcétonurie, qui nécessite un suivi médical serré et une diète très stricte.

[17] Les enfants ont la double nationalité, ce qui n'est pas le cas des parties. L'appelant est américain et l'intimée est canadienne. À noter que cette dernière n'a aucun statut légal aux États-Unis. Pendant toutes les années où elle a vécu dans ce pays avec l'appelant, elle n'a jamais régularisé ou officialisé sa situation avec les autorités américaines en matière d'immigration. Même qu'elle a continué à percevoir ses allocations familiales au Québec en y maintenant une adresse. Quant à l'appelant, il ne peut circuler librement au Canada car il a un casier judiciaire[2].

[18] Au printemps 2010, alors que les parties vivent déjà depuis un certain temps des problèmes de couple, l'appelant fait la connaissance d'une personne de sexe féminin dont il s'entiche très rapidement. Le 3 juin 2010, il avoue à l'intimée qu'il entretient une relation extraconjugale avec cette personne. À partir de ce point, la preuve est nettement contradictoire.

[19] Selon la version de l'appelant, il demande à l'intimée de réfléchir à leur situation et de partir comme prévu avec les enfants pour passer l'été au Québec. Les billets d'avion sont déjà achetés et la date de départ prévue est le 22 juin 2010. Selon la version de l'intimée, l'appelant lui demande avec insistance de quitter définitivement avec les enfants. Bref, il la met à la porte.

[20] La veille du départ de l'intimée, la nouvelle conjointe de l'appelant se présente au domicile des parties et nargue l'intimée. De fait, elle emménage dans la résidence familiale dès le lendemain, date du départ de l'intimée avec les enfants.

[21] Une semaine après son arrivée au Québec, l'intimée téléphone à la mère de l'appelant. Elle l'informe qu'elle ne retournera pas en Californie et qu'elle a l'intention de s'établir à ville A avec ses enfants. L'appelant est informé par sa mère de la situation. Nous sommes alors au début du mois de juillet 2010.

[22] Au mois d'août, l'appelant entreprend des démarches auprès des autorités américaines et canadiennes en vue de pouvoir entrer au Canada malgré son casier judiciaire. Il s'agit d'un processus long et complexe qui peut prendre plusieurs mois.

[23] Toujours au cours du mois d'août, l'intimée intente un recours judiciaire au Québec dans le district de Frontenac afin d'obtenir la garde des enfants. L'appelant refuse de recevoir les procédures qui lui sont transmises en Californie par courrier prioritaire et qui lui seront signifiées ultérieurement par télécopieur. Les 22 et 23 septembre 2010, l'avocat qu'il consulte envoie à l'intimée une mise en demeure par laquelle il demande le retour immédiat des enfants en se fondant sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

[24] Le 20 octobre 2010, un jugement final de la Cour supérieure attribue la garde des enfants à l'intimée. Quant à l'appelant, il intente en Californie, le 13 décembre 2010, un recours pour obtenir la garde des enfants. Puis, le 29 mars 2011, il intente au Québec un recours pour obtenir le retour des enfants en vertu de la Convention de La Haye et de la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants(ci-après, la Loi).

La Loi

[25] Le préambule, tout d'abord, énonce ce qui suit :

ATTENDU que la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants vise, au niveau international, à protéger l'enfant contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non-retour illicite.

Attendu que cette Convention établit, dans l'intérêt de l'enfant, des mécanismes en vue de garantir le retour immédiat de ce dernier dans l'État de sa résidence habituelle et d'assurer la protection du droit de visite;

Attendu que le Québec souscrit aux principes et aux règles établis par cette Convention et qu'il y a lieu de les appliquer au plus grand nombre de cas possible.

[26] L'article 1, qui reprend l'article 1 de la Convention, énonce l'objet de la Loi :

  1. La présente loi a pour objet d'assurer le retour immédiat au lieu de leur résidence habituelle des enfants déplacés ou retenus au Québec, ou dans un état désigné, selon le cas, en violation d'un droit de garde.

Elle a aussi pour objet de faire respecter effectivement, au Québec, les droits de garde et de visite existant dans un État désigné et, dans tout État désigné, les droits de garde et de visite existant au Québec.

[27] Les articles 3 et 4 de la Loi définissent les cas de non-retours illicites :

  1. Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite au sens de la présente loi, lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à un ou plusieurs titulaires par le droit du Québec ou de l'État désigné dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour, alors que ce droit était exercé de façon effective par un ou plusieurs titulaires, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus.

Ce droit de garde peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative ou d'un accord en vigueur selon le droit du Québec ou de l'État désigné.

  1. Outre les cas prévus à l'article 3, le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite s'il se produit alors qu'une instance visant à déterminer ou à modifier le droit de garde a été introduite au Québec ou dans l'État désigné où l'enfant avait sa résidence habituelle et que ce déplacement ou ce non-retour risque d'empêcher l'exécution de la décision qui doit être rendue.

[28] L'article 5 de la Loi mentionne le champ d'application de la Loi, soit les enfants âgés de moins de 16 ans, ce qui est notre cas.

[29] Selon l'article 18, alinéa 1 : « Pour obtenir le retour forcé d'un enfant, le ministre de la Justice ou celui qui prétend qu'il y a eu une violation du droit de garde doit s'adresser par requête à la Cour supérieure du lieu où se trouve l'enfant ou de tout autre lieu approprié dans les circonstances ».

[30] L'article 20 de la Loi, qui est l'équivalent de l'article 12 de la Convention, prévoit le retour immédiat de l'enfant :

  1. Lorsqu'un enfant qui se trouve au Québec a été déplacé ou retenu illicitement et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l'introduction de la demande devant la Cour supérieure, celle-ci ordonne son retour immédiat.

Même si la demande est introduite après l'expiration de cette période, la Cour supérieure ordonne également le retour de l'enfant, à moins qu'il ne soit établi que ce dernier s'est intégré dans son nouveau milieu.

[31] Les articles 21 et 22 de la Loi, qui reprennent essentiellement les articles 13 et 20 de la Convention, énoncent les exceptions au retour immédiat de l'enfant :

  1. La Cour supérieure peut refuser d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque celui qui s'oppose à son retour établit :

1 °que celui qui avait le soin de la personne de l'enfant n'exerçait pas effectivement le droit de garde à l'époque du déplacement ou du non-retour ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour; ou

2° qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique ou, de toute autre manière, ne le place dans une situation intolérable.

  1. La Cour supérieure peut aussi refuser d'ordonner le retour de l'enfant :

1° si elle constate que celui-ci s'oppose à son retour et qu'il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion;

2° si ce retour est contraire aux droits et libertés de la personne reconnus au Québec.

[32] L'article 25 de la Loi, qui intègre l'article 16 de la Convention, stipule qu' :

  1. Après avoir été informée qu'un enfant a été déplacé ou est retenu illicitement au Québec, la Cour supérieure ne peut décider de la garde de cet enfant si les conditions prévues par la présente loi pour le retour de l'enfant peuvent être satisfaites ou si une demande de retour peut être présentée dans un délai raisonnable.

[33] Enfin, selon l'article 26 de la Loi, inspiré de l'article 17 de la Convention :

  1. Le seul fait qu'une décision relative à la garde ait été rendue ou soit susceptible d'être reconnue au Québec ne peut justifier le refus d'ordonner le retour de l'enfant, mais la Cour supérieure peut prendre en considération les motifs de cette décision qui sont pertinents à l'application de la présente loi.

Le jugement de première instance

[34] La juge de première instance affirme n'avoir « aucun doute sur le fait que la Californie est le lieu de résidence des enfants avant leur déplacement : elles y habitent avec leurs deux parents, y ont leurs activités sportives, fréquentent un établissement scolaire et bénéficient d'un suivi médical ».

[35] Selon la juge, X est assez mature pour que son opinion soit prise en considération. Or, cette dernière fait part de ses inquiétudes à la juge« dans l'éventualité où il y aurait négligence concernant la diète à laquelle elle est soumise » car son père serait peu présent.

[36] Prenant notamment appui sur ces inquiétudes, la juge considère être en présence d'une première exception à la Loi pour empêcher le retour immédiat des enfants, soit l'exception du risque grave de danger physique ou psychique prévue à l'article 21 (2o) de la Loi.

[37] De même, il ne fait aucun doute dans l'esprit de la juge que l'appelant a donné un « consentement clair, réel et non équivoque à ce que la mère quitte pour le Québec avec les enfants », ce qui constitue une seconde exception à la Loi, prévue à l'article 21 (1o), pour refuser d'ordonner le retour des enfants.

[38] Enfin, tout en étant consciente qu'un des objectifs importants de cette Loi est de faire en sorte que la décision finale portant sur la garde soit prise par les autorités de la résidence habituelle de l'enfant avant son déplacement, la juge considère qu'un élargissement de la notion de l'intérêt de l'enfant au regard de l'application de la Loi est néanmoins souhaitable.

[39] Comme ce dernier commentaire de la juge réfère à l'économie générale de la Loi, je débuterai par là mon analyse du jugement de première instance. Ceci permettra de circonscrire dès le départ dans quel contexte s'inscrivent les exceptions au retour des enfants prévues à la Loi que l'intimée invoque pour s'opposer au retour des enfants en Californie.

Analyse

L'intérêt de l'enfant

[40] Avec égards pour la juge de première instance, cette dernière commet une erreur en important dans la Loi la notion de l'intérêt de l'enfant au sens large[3]car, ce faisant, elle se trouve à donner une portée trop étendue aux exceptions prévues à la Loi alors qu'une application restrictive est de mise.

[41] En vertu de son article premier, « la Loi a pour objet d'assurer le retour immédiat au lieu de leur résidence habituelle des enfants déplacés ou retenus au Québec ou dans un État désigné, selon le cas, en violation d'un droit de garde ». La Loi prend pour hypothèse de départ que c'est le tribunal du lieu de résidence habituelle des enfants qui est le mieux placé pour statuer sur les modalités de garde qui sont dans leur meilleur intérêt. Partant, la notion de l'intérêt de l'enfant ne saurait avoir la même portée que celle appliquée quotidiennement par les tribunaux québécois dans les cas où est absent tout élément d'extranéité.

[42] La Cour, sous la plume du juge Chamberland, a reconnu que la notion de l'intérêt de l'enfant sous l'angle de la Loi devait recevoir une portée plus étroite que celle généralement retenue[4] :

À cet égard, je rappelle que l'intérêt de l'enfant déplacé, au sens large de cette notion que nous connaissons bien au Québec en matière de décisions concernant l'enfant, n'est pas mentionné explicitement, ni dans la Convention, ni dans la Loi, en tant que critère correcteur de l'objectif qui vise à assurer le retour immédiat de l'enfant au lieu de sa résidence habituelle; au sens de la Convention et de la Loi, l'intérêt de l'enfant déplacé s'étudie sous l'angle, sûrement plus étroit, des quelques exceptions y décrites. L'intérêt de l'enfant, au sens plus large, sera pris en compte au moment où les autorités judiciaires de l'État de sa résidence habituelle statueront sur les droits de garde et de visite, ce que la Convention ne cherche absolument pas à régler.

[43] Encore récemment, voici comment s'exprime la Cour suprême du Royaume-Uni sur le même sujet[5] :

The first object of the Convention is to deter either parent (or indeed anyone else) from taking the law into their own hands and pre-empting the result of any dispute between them about the future upbringing of their children. If an abduction does take place, the next object is to restore the children as soon as possible to their home country, so that any dispute can be determined there. The left-behind parent should not be put to the trouble and expense of coming to the requested state in order for factual disputes to be resolved there. The abducting parent should not gain an unfair advantage by having that dispute determined in the place to which she has come. […].

[44] La notion de l'intérêt de l'enfant a donc une signification particulière lorsqu'il s'agit d'appliquer la Loi. Tel que mentionné, le meilleur intérêt de l'enfant coïncide avec son retour au lieu de sa résidence habituelle, sauf dans les cas où une des exceptions s'applique. C'est donc cette portée plus étroite qu'il faut donner à la notion de l'intérêt de l'enfant lorsqu'on applique la Loi.

[45] De plus, l'application efficace de la Convention de La Haye passe par une coopération étroite et nécessaire entre les États signataires. En adhérant à la Convention, le Québec reconnaît que l'État de la résidence habituelle de l'enfant est celui qui est le mieux placé pour déterminer les droits de garde. Aussi, en émettant le souhait d'un élargissement de la notion de l'intérêt de l'enfant, la juge va clairement à l'encontre de la raison d'être de la Loi, ce qui a nécessairement eu pour effet de teinter son raisonnement, notamment lorsqu'elle applique l'exception du risque grave prévue à l'article 21 (2o). Voyons donc ce qu'il en est.

Le risque grave

[46] La juge de première instance mentionne qu'elle est inquiète en ce qui concerne les problèmes de santé des enfants et le suivi médical par le père si les enfants se retrouvent avec lui, particulièrement pour la préparation des repas. La juge poursuit et mentionne ce qui suit :

[59] X, lors de sa rencontre avec la soussignée, a exprimé que son père était peu présent. Si aujourd'hui, elle est une jeune fille en santé, c'est que la mère lui a prodigué les meilleurs soins depuis sa naissance et il en est de même pour Y.

[60] Mais il y a plus. Le témoignage de X, sans exprimer de façon claire une priorité pour un milieu de vie plutôt qu'un autre, a exprimé que pour elle et sa sœur, il s'agissait d'une situation sans équivoque; elles étaient dorénavant au Québec pour y rester et désormais, inversement, elles pourraient se rendre en Californie en vacances.

[61] Briser le fragile équilibre de ces enfants, acquis non sans peine depuis juin 2010, est pour le Tribunal un danger psychologique suffisamment important pour considérer qu'il s'agit d'une situation donnant ouverture aux exceptions prévues par la loi et ne pas ordonner le retour des enfants aux États-Unis.

[47] À mon avis, la juge commet une erreur en concluant que les enfants seront exposées à un risque grave si leur retour en Californie est ordonné.

[48] Tout d'abord, les inquiétudes de la juge au niveau de la diète des enfants sont exagérées étant donné que l'intimée est disposée à laisser à l'appelant la garde de ces dernières pour l'été. Ceci ressort d'un courriel en date du 22 octobre 2010 transmis par l'intimée à l'appelant :

What I desire is to have the children here, with me, in Québec. You will have the summer with them, vacations and other holidays, without creating problems for the school routine, which means quality time with them. You can come here, they can go there, and we can all get together and do things, as parents with harmony and respect for each other. Those are good times with them, and it is a good compromise since you are working so much. I am trying to make it the best for all. [Je souligne]

[49] Il s'agit d'une question de tout ou de rien. Ou bien l'appelant est en mesure d'assurer le suivi médical des enfants et que celles-ci suivent leur diète, ou bien il ne l'est pas. Or, si l'intimée est prête à lui laisser les enfants pour l'été, il faut en conclure qu'elle n'est pas inquiète lorsque celles-ci sont avec leur père. Dès lors, je ne vois pas comment la juge peut affirmer qu'elle est inquiète si la propre mère des enfants ne l'est pas.

[50] La juge de première instance a rencontré X, l'aînée des filles des parties. Elle écrit que celle-ci est « très équilibrée » et« très en contrôle de ses émotions ». Plus loin, elle écrit pourtant que le retour des enfants en Californie briserait leur « fragile »équilibre. De deux choses l'une. Ou bien X est une jeune fille très équilibrée ou bien il s'agit d'une jeune fille à l'équilibre fragile! Une chose est certaine cependant. L'application de l'exception au retour des enfants prévue à l'article 21 (2o) de la Loi ne saurait se fonder sur des constatations factuelles aussi hésitantes.

[51] Ordonner le retour des enfants dans l'État de leur résidence habituelle comporte nécessairement un risque de trouble psychologique. Cependant, ce risque, lié à un nouveau changement dans leurs conditions de vie, est commun à la plupart sinon à tous les enfants visés par la Loi. C'est pourquoi ce risque ne peut caractériser l'état de danger, ni la situation intolérable visée par l'exception. Comme le soutient le procureur général, considérer le retour en lui-même comme un risque grave mènerait à une application trop libérale de l'exception qui aurait alors vraisemblablement pour conséquence de rendre la Loi sans effet.

[52] Cet argument, du reste, a été rejeté à maintes reprises par les tribunaux. À titre d'exemple, il était soulevé par le parent ravisseur dans l'arrêt Droit de la famille – 2454[6] :

[…] L'appelante persiste à soutenir que le retour des enfants en Californie leur ferait courir « un danger grave », un« débalancement psychologique certain » et une « situation à court et moyen terme pour le moins intolérable » […].

[53] À cet argument, le juge Chamberland a répondu que ce risque n'était pas suffisant pour que l'exception du risque grave s'applique[7] :

Finalement, je note que plusieurs des difficultés invoquées par l'appelante quand elle traite du choc qui attend les enfants à leur retour en Californie découlent du fait même de leur déplacement illicite vers le Canada le 18 janvier 1996. Il est probable que l'appelante n'a pas agi ainsi pour mal faire mais, au contraire, selon sa perception des choses, dans le meilleur intérêt des enfants. Il n'en demeure pas moins qu'elle se faisait ainsi justice à elle-même, en violation flagrante du droit de garde que son mari exerçait alors de concert avec elle; elle a créé une situation telle qu'un retour en Californie, après un séjour de plusieurs mois au Québec, perturbera certainement les enfants, dans une mesure qu'il est toutefois difficile d'évaluer et qui dépendra beaucoup de l'attitude même des parties.

[54] Également, dans l'arrêt de principe, Friedrich v. Friedrich[8], le juge Boggs, au nom de la Cour d'appel américaine du sixième circuit, a aussi rejeté cet argument. Il explique que le parent ravisseur ne peut invoquer que l'enfant souffrira du nouveau déplacement causé par l'ordonnance de retour, car c'est ce même parent qui a créé la situation dans laquelle l'enfant est placé[9] :

Mrs. F. alleges that she proved by clear and convincing evidence in the proceedings below that the return of T. to Germany would cause him grave psychological harm. Mrs. F. testified that T. has grown attached to family and friends in Ohio. She also hired an expert psychologist who testified that returning T. to Germany would be traumatic and difficult for the child, who was currently happy and healthy in America with his mother.

[…]

If we are to take the international obligations of American courts with any degree of seriousness, the exception to the Hague Convention for grave harm to the child requires far more that the evidence that Mrs. F. provides. Mrs. F. alleges nothing more than adjustment problems that would attend the relocation of most children.

[…]

Mrs F. advocates a wide interpretation of the grave risk of harm exception that would reward her for violating the Convention. A removing parent must not be allowed to abduct a child and then – when brought to court—complain that the child has grown used to the surroundings to wich the were abducted. Under the logic of the Convention, it is the abduction that causes the pangs of subsequent return. The disruption of the usual sense of attachment that arises during most long stays in a single place with a single parent should not be a "grave" risk of harm for the purposes of the Convention.

[55] Il existe une autre raison pour laquelle la juge de première instance ne pouvait pas décider que le risque de trouble psychologique, lié au changement projeté dans les conditions de vie des enfants, causé par leur retour en Californie, correspond à la situation intolérable prévue à l'article 21 (2o) de la Loi. Cette autre raison est que cette disposition doit être interprétée de façon cohérente avec l'ensemble de la Loi. Or, celle-ci prévoit déjà, à son article 20, une exception distincte visant précisément à éviter à un enfant, qui s'est intégré à son nouveau milieu de vie, le stress lié à un retour. Je reproduis à nouveau cet article aux fins de commodité :

  1. Lorsqu'un enfant qui se trouve au Québec a été déplacé ou retenu illicitement et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l'introduction de la demande devant la Cour supérieure, celle-ci ordonne son retour immédiat.

Même si la demande est introduite après l'expiration de cette période, la Cour supérieure ordonne également le retour de l'enfant, à moins qu'il ne soit établi que ce dernier s'est intégré dans son nouveau milieu. [Je souligne]

[56] Une interprétation cohérente des articles 20 et 21 (2o) de la Loi suppose que le risque lié au nouveau changement d'État des enfants ne correspond pas au risque grave prévu à l'article 21 (2o) de la Loi, interprétation que retient la High Court de Nouvelle-Zélande dans la décision C.v. C.>[10] :

If the purpose of the Hague Convention are not to be wholly eroded, it is necessary to recognize that the situation in which children who have been removed wrongfully find themselves will almost inevitably cause stress to them. Often that stress may be substantial and may have psychological effects. For that reason the standard set by the convention and the section is high and is stringently tested (see Re F W. (minor: abduction: rights of custody abroad) [1995] 3 All ER 641; A. v. W. [1994] NZFLR 132; D. v. D. [1993] NZFLR 548; M. v. M. [1995] NZFLR 225). Such an approach is also prompted by the distinct grounds provided by s.13(1)(a) which provides that the fact that a child is settled in his or her new environment is not itself sufficient grounds where application for an order for return is made within a year of the removal of the child (as is the case here). Where children are settled, it seems to me that stress attendant upon the dislocation which results from an order for return is almost inevitable. [Je souligne]

[57] La juge de première instance confond donc les deux exceptions lorsqu'elle prend en considération, aux paragraphes 60 et 61 de son jugement>[11], que le fragile équilibre des enfants sera brisé par leur retour en Californie. De plus, le second alinéa de l'article 20 n'est pas applicable en l'espèce parce qu'il ne s'est pas écoulé plus d'un an depuis le déplacement des enfants jusqu'au moment de l'introduction du recours de l'appelant en Cour supérieure.

[58] Pour toutes ces raisons, il m'apparaît que la juge de première instance a commis une erreur révisable par cette cour en décidant que les enfants seront exposées à un risque grave.

[59] Reste à examiner la seconde exception à la Loi retenue par la juge, soit celle du consentement de l'appelant au déplacement permanent des enfants au Québec.

Le consentement de l'appelant

[60] Les circonstances entourant le départ de l'intimée avec les enfants des parties, le 22 juin 2010, ne sont pas claires. La juge de première instance devait trancher entre deux versions des faits diamétralement opposées et elle a retenu la version de l'intimée. Comme sa conclusion est basée sur son appréciation de la preuve, la Cour ne peut intervenir, en principe, qu'en présence d'une erreur manifeste et déterminante.

[61] Je dis « en principe » parce que s'agissant ici d'appliquer une exception à la Loi qui, à ce titre, comme n'importe quelle autre exception, doit être interprétée restrictivement, la déférence normalement due au juge de première instance doit être modulée en fonction de cette problématique particulière.

[62] La Loi, à cet égard, ne définit pas la notion de consentement. Toutefois, tant la jurisprudence que la doctrine reconnaissent que le consentement doit être donné non seulement de manière libre et éclairée, mais aussi de façon claire, positive et sans équivoque>[12].

[63] À mon avis, la juge ne pouvait pas conclure que l'appelant a donné son consentement, même implicite, au déplacement permanent des enfants. Je rappelle les faits pertinents.

[64] L'intimée n'a aucun statut légal aux États-Unis. Elle travaillait pour l'entreprise de l'appelant. En juin 2010, ce dernier lui avoue qu'il a une maîtresse. Il lui demande de quitter. Certes, il était déjà prévu qu'elle passerait l'été au Québec avec les enfants, mais ceci ne change rien au fait que l'appelant ne lui donne guère le choix. De fait, sa nouvelle conjointe emménage la journée même où l'intimée quitte la résidence familiale avec ses deux filles.

[65] Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'appelant a agi de manière odieuse et infamante à l'endroit de l'intimée. Son comportement signifie-t-il pour autant qu'il a consenti à ce que cette dernière parte avec les enfants pour toujours? Je ne le crois pas. Là encore, il faut revenir sur les faits.

[66] Une semaine après son arrivée au Québec, l'intimée communique avec la mère de l'appelant et l'informe de son intention de s'établir au Québec avec les enfants sur une base permanente. Informé de cette situation, l'appelant amorce dès le mois suivant des démarches auprès des autorités canadiennes pour pouvoir entrer au Canada malgré son casier judiciaire.

[67] Au mois de septembre, il contacte un avocat qui transmet à l'intimée une mise en demeure dans laquelle il réclame l'application de la Convention de La Haye. Cette mise en demeure est en réponse au recours intenté par Madame dans le district de Frontenac réclamant la garde des enfants. En octobre, les parties ont également des discussions à propos de leur situation.

[68] Au mois de décembre, l'appelant intente à son tour des procédures en Californie pour demander la garde de ses enfants. Enfin, ses difficultés pour entrer au Canada étant en voie d'être aplanies, l'appelant intente au mois de mars 2011 le recours qui sert de toile de fond au présent pourvoi et par lequel il demande le retour de ses enfants en Californie.

[69] À mon avis, la juge de première instance a omis de considérer la trame factuelle dans son ensemble, ce qui ne pouvait qu'affecter sa conclusion que l'appelant a consenti au déplacement permanent de ses enfants.

[70] Ainsi que nous venons de le voir et contrairement à ce que la juge écrit, l'appelant ne s'est jamais désintéressé du sort de ses enfants. Dans la mesure de ses moyens (je rappelle que l'appelant ne pouvait pas entrer au Canada en raison de son casier judiciaire), il a, en tout temps pertinent, été proactif et a cherché à recouvrer la garde. C'est là une conduite incompatible avec celle d'un parent ayant donné supposément son consentement>[13].

[71] Que l'appelant ait clairement signifié à l'intimée qu'il mettait fin à la vie commune, soit. Qu'il ait eu une conduite odieuse envers l'intimée ne fait pas l'ombre d'un doute non plus. Ce comportement ne démontre pas cependant que l'appelant, le 22 juin 2010, a consenti au déplacement permanent des enfants. Ce qui ressort plutôt de la preuve est que l'intimée est partie parce qu'elle n'avait pas le choix. Une fois au Québec, elle a cependant décidé de garder les enfants et de transformer ce voyage en une rétention illégale.

[72] En terminant, je ne saurais faire mieux que de rappeler les propos du juge Chamberland, dans l'arrêt Droit de la famille – 2454[14], qui s'appliquent à notre situation et traduisent bien le caractère délicat de celle-ci lorsque le retour des enfants est ordonné après un long délai :

La décision de retourner les enfants en Californie n'est pas facile à prendre, d'autant qu'il s'est écoulé plus de neuf mois depuis leur déplacement illicite, mais c'est, à mon avis, la décision qui s'impose. La convention a reçu l'adhésion de la communauté internationale, le Canada en tête, parce que nos dirigeants politiques y voyaient là le meilleur moyen de contrer le fléau du déplacement ou du non-retour illicite des enfants. Les exceptions au principe du retour immédiat des enfants au lieu de leur résidence habituelle sont, à dessein, peu nombreuses et doivent être interprétées restrictivement. Autrement, comme le souligne Mme la professeure Pérez-Vera, la convention deviendra rapidement lettre morte et nous retournerons tous, enfants comme adultes, à la case départ, ce qui n'est pas souhaitable.

[73] Pour ces motifs, je suggère d'accueillir l'appel, d'ordonner le retour des enfants en Californie au plus tard le 30 janvier 2012 ou à toute autre date convenue entre les parties, de confier les enfants à l'appelant, le tout sans frais, les dépenses de voyage des enfants et celles de l'appelant, le cas échéant, étant à la charge de ce dernier en raison des moyens financiers plus limités de l'intimée.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

[1] L.R.Q. ch. A-23.01.

[2] L'appelant a été trouvé coupable aux États-Unis, en 1995, de « criminal trespass » et, en 1998, de « disturbing the natural process of a park ».

[3] Art. 33 C.c.Q.

[4] Droit de la famille – 2454, [1996] R.J.Q. 2509 , p. 2526 (C.A.).

[5] RE E (Children) (FC), [2011] UKSC 27, paragr. 8.

[6] Droit de la famille – 2454supra, note 3, p. 2526.

[7] Ibid., p. 2527.

[8] 78 F. 3d 1060 (6th Cir. 1996).

[9] Friedrich v. Friedrichsupra, note 7, p. 5 et 6.

/a>[10] [1996] 1 NZFLR 349 [INCADAT cite : HC/E/NZ/246] p. 4.

[11] Supra, p. 9.

[12] Caroline Harnois, « La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur l'enlèvement international d'enfants : la nécessité d'agir de façon rapide et efficace », Développements récents en droit familial, Cowansville, Yvon Blais, 2008, p. 14, 18 et 19; Mario Provost, Droit de la famille québécois, CCH, section X.1 – L'enlèvement international et interprovincial d'enfants, p. 4,239, 4,242 et 4,243; Nigel Lowe, « International movement of children-law practice and procedures, Jordan Publishing Limited, 2004, p. 319; Droit de la famille – 09887, 2009 QCCS2021, paragr, 14 à 16 et 49 à 58; Droit de la famille – 092549, 2009 QCCA 1932 , paragr. 19 et 20.

[13] Nigel Lowe, supra, note 11, p. 319; S. S.-C. c. G.C., 15 août 2003, 500-04-003270-035 (C.S.), paragr. 75.

[14] Supra, note 3, p. 2527.

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